L’autosuffisance est-elle possible ?
9,106.2 dollars. Tel a été le produit intérieur brut par habitant en 2021, selon les données de la Banque Mondiale. Une telle richesse relative signifie que le Mauricien est en mesure de payer pour importer son riz d’Inde ou du Pakistan, sa viande d’Australie ou d’Afrique du Sud et ses champignons en boîte de Chine. Mais quid de la production locale ? Commençons par une définition de l’autosuffisance.
« Dans le contexte alimentaire, c’est la capacité physique et financière d’un pays de subvenir aux besoins alimentaires de sa population », fait ressortir Jacqueline Sauzier, Secrétaire-Générale de la Mauritius Chamber of Agriculture. « C’est-à-dire, qu’en plus de produire localement ce dont le pays a besoin, c’est aussi avoir une économie suffisamment stable pour pouvoir s’acheter ce dont elle a besoin. »
En réalité, la facture alimentaire à l’importation en 2022 a été de quelque Rs 52,81 milliards, soit 18% de la facture totale du pays. Dans cette partie de l’océan Indien, l’Afrique du Sud domine le classement en tant que fournisseur pour Maurice et suivant, loin derrière, l’archipel des Seychelles avec des ventes vers Maurice pesant Rs 2,73 milliards. Madagascar et ses millions d’hectares cultivables, pointe à la cinquième place. Au mix régional existant, ajoutons le Kenya. L’agriculture demeure la colonne vertébrale de la première économie en l’Afrique de l’Est. Cette industrie stagne néanmoins, marquée par l’absence de nouvelles pratiques culturales et une réticence à investir davantage, selon la United States Agency for International Development. La Tanzanie, voisin du Kenya, fait face aux mêmes difficultés. La Grande Ile, aussi.
Cela dit, en tenant compte du potentiel agraire de ces pays proches, la région océan Indien/Afrique de l’Est dispose d’une belle marge de progression à court et moyen terme.
Détentrice d’un doctorat en droit public et ayant soutenu une thèse relative à l’accord sur la facilitation des échanges, le développement durable et Maurice en tant que petit Etat insulaire, Vittiyaiye Teeroovengadum explique qu’abattre cette carte régionale vaut tout son pesant d’or.
« La pandémie du coronavirus et son incidence sur les échanges mondiaux, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les imprévus économiques ont chamboulé l’économie globale. Les pays revoient leurs priorités, avec l’accent sur de nouveaux horizons commerciaux d’ordre régional. Dans cette nouvelle dynamique, l’Afrique et l’Afrique de l’Est pour Maurice, peuvent être considérées comme étant un choix stratégique tenant compte du climat d’instabilité mondial qui perdure. »
Et d’ajouter : « En sus de l’Afrique du Sud, nous sommes appelés à considérer les proches pays africains en tant que partenaires commerciaux d’avenir. Une stratégie alternative serait d’établir des zones économiques sur les terres africaines, produire, transformer et réacheminer vers Maurice. D’une pierre, deux coups. Cela aura pour effets de réduire les coûts et de consolider la vision d’un développement africain collectif. »
Tout en mettant l’accent sur la conjoncture internationale actuelle, Raj Makoond, Program Director au sein d’Eclosia Group, abonde dans la même direction : « Aujourd’hui, il existe un consensus entre les institutions internationales sur le fait que le monde devra travailler pour une meilleure sécurité alimentaire. »
Maurice et ses 1,26 million d’habitants ont d’ailleurs montré de réelles dispositions à assurer une certaine autosuffisance alimentaire pendant la douloureuse année de 2020. Contraints par le confinement, les Mauriciens ont effectué un timide retour à la terre en attendant un retour à la normale.
Au-devant de la scène depuis la pandémie
L’Etat a saisi la balle au bond, multipliant les mesures financières pour soutenir la communauté mauricienne et les planteurs, tels que les Rs 68 millions déboursés pour 500 projets et bénéficiaires en 2021 et 2022, dont Rs 50.4 millions pour la culture sous serre. Qui plus est, les petits planteurs ont bénéficié d’un apport de Rs 155 millions l’an dernier, incluant Rs 64 millions sous forme de subsides pour les fertilisants (3,531 bénéficiaires) et Rs 51 millions pour compenser les pertes engendrées par des conditions climatiques extrêmes (5,619 bénéficiaires).
« Atteindre l’autosuffisance a été un objectif fixé par tout gouvernement, mais elle a davantage été au-devant de la scène lors de la pénurie alimentaire engendrée par la pandémie du coronavirus », explique l’économiste Takesh Luckho. « Cependant, la route vers l’autosuffisance est difficile. Nous dépendons toujours des importations pour répondre à 50% de la demande locale pour le poisson et 30% pour les légumes. »
Pour Shemida Ramdewar-Imrith, qui a dévoué 17 ans de sa vie à l’agriculture et qui milite pour l’émergence d’une agro-industrie moderne, l’accent est désormais plus régional. « Les îles de l’océan Indien et l’Afrique de l’Est ont un rôle important dans l’autosuffisance alimentaire. Nous pouvons y importer les aliments que ne pouvons obtenir ici tels que les fruits d’Afrique du Sud, les épices, fruits de mer et grain secs (Madagascar) et les noix des différents pays d’Afrique de l’Est. La pénurie de terres agricoles se fait sentir au sein de la communauté des planteurs. Avoir accès à des terres comme Madagascar peut être bénéfique pour les deux pays, cela nous donnera accès à d’autres produits. Ce serait une occasion pour les grains secs, par exemple.»
« Dans l’idéal, une coopération accrue entre Maurice, La Réunion, Madagascar, les Comores et l’Afrique de l’Est apportera des réponses à la problématique de la logistique et de la sécurité alimentaire en termes de proximité des marchés et du potentiel », souligne Raj Makoond. « Admettons que Maurice soit autosuffisant en matières agricoles. A partir de là, nous devrions travailler pour apporter cette complémentarité dans la région. »
L’accompagnement, une possibilité
C’est dans ce contexte, qu’après avoir posé les bases du business inclusif à Madagascar dans le domaine avicole, le groupe Eclosia considère aujourd’hui de devenir un partenaire dans la culture du maïs à Madagascar. « Nous ne sommes pas des agriculteurs. Nous achetons et nous transformons le soja et le maïs pour en faire de la nourriture pour la filière avicole. Mais nous sommes prêts à jouer un rôle de facilitateur dans la Grande Ile en apportant un débouché pour les produits et aussi une expertise pour rassembler les planteurs de maïs, booster le nombre d’entrepreneurs agricoles et améliorer leur rendement. Notre ambition est d’aider les planteurs malgaches à développer, de façon durable, leurs cultures afin d’avoir une autosuffisance pérenne pour le pays. »
Aujourd’hui, dans la Grande Ile, Livestock Feed Madagascar produit 70,000 tonnes d’aliments avec comme intrant 40,000 tonnes de maïs malgache. « Afin que l’élevage se développe pour répondre à la demande de la population locale, il est certain que davantage de maïs est requis. Ce n’est qu’une fois les besoins locaux assurés que l’exportation pourrait être considérée. »
L’Argentine et l’Europe restent pour l’heure les sources majeures d’approvisionnement pour la région. Or, en accompagnant la production de maïs à Madagascar et en dépassant le seuil d’autosuffisance du pays, le surplus produit trouverait logiquement des débouchés à Maurice et dans la région. Ce qui apporterait un revenu supplémentaire aux agriculteurs malgaches tout en diminuant le coût du fret et de l’empreinte carbone, explique Gérard Boullé.
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